mardi 11 septembre 2012

Les poules boréales (partie 2)

Le Tétras du Canada

Ma première rencontre avec le Tétras du Canada remonte au 4 juin 1994. Je me trouve au Lac Gonzague, dans le Parc des Laurentides, près du kilomètre 172. Ça fait déjà quelques décennies que je rêve d'en observer enfin un de près. Oui, de près, car, aussi paradoxal que ça puisse paraître, cet oiseau gibier par excellence auprès des chasseurs est également l'animal vivant en forêt boréale qui est le moins farouche à l'approche de l'homme. Bien avant ma rencontre historique avec cet oiseau, des chasseurs m'avaient déjà raconté qu'il était possible de tuer un tétras avec un simple bâton, tellement il était confiant. J'étais plutôt sceptique et je me demandais s'il s'agissait de ragots ou de faits véridiques. Je me suis alors fait confirmer ces dires par un ami fiable qui était à la fois biologiste et chasseur. Loin de moi l'idée de vouloir en tuer un, mais je salivais déjà à l'idée que je pouvais modestement espérer en voir un de très très près. Mais le hic dans toute cette histoire, c'est qu'il est pratiquement absent de la vallée du Saint-Laurent et que c'est un oiseau de grandes étendues forestières. De plus, les habitats qu'il fréquente varient selon les saisons.

Au Québec, il se rencontre principalement dans les forêts de conifères (dominées par l'Épinette noire et le Sapin baumier) et dans les tourbières. Il aime les sous-bois arbustifs denses qui recouvrent une bonne partie du sol. Cependant, au printemps, à l'époque de la parade, il préfère un habitat moins dense afin de pouvoir accomplir les rituels liés à la formation des couples. Ensuite, il opte pour un habitat plus dense où la femelle peut nicher et élever sa couvée en toute sécurité et où le mâle est protégé des prédateurs lors de la mue. En été, on peut également apercevoir le tétras près des lisières de brûlés et dans des milieux ouverts, comme les clairières et les bleuetières où il s'alimente de fruits, de champignons, d'insectes et de plantes vertes. En hiver, il fréquente principalement les peuplements composés de Sapins baumiers, d'Épinettes noires, d'Épinettes rouges et de Pins gris, se nourrissant de bourgeons terminaux et d'aiguilles. Au Québec, l'Épinette blanche et le Mélèze laricin semblent être des essences importantes pour l'alimentation du tétras.

Lors de mes trois dernières expériences vécues en forêt boréale, dans le cadre de l'Atlas des oiseaux nicheurs du Québec, j'ai pu parfaire mon étude du comportement de la femelle Tétras du Canada lorsque seule et lorsque accompagnée par des poussins. Nos travaux de recherches s'étendent, grosso modo,  entre le 1er juin et le 15 juillet. Cette période de 6 semaines nous permet de vivre d'abord la difficulté, puis ensuite la  facilité de repérage des tétras (et également des perdrix). Au cours des trois premières semaines de juin, les rencontres sont beaucoup moins fréquentes et les chances de tomber sur un mâle sont renforcés par le fait que les poules sont sur les nids, en train de couver. Il en est tout autrement lorsque les poussins sont présents et accompagnent leur mère.

Ce mâle Tétras du Canada s'immobilise à quelques mètres de moi, se pensant bien camouflé parmi la végétation. Quelques secondes auparavant, il picorait sur le bord du chemin forestier. Au début juin, il est plus fréquent de rencontrer des mâles, car les femelles sont assises sur les nids.

Alors que la femelle perdrix peut devenir agressive à mesure que la tension envers un possible prédateur augmente, la femelle tétras semble toujours garder son sang froid. Si elle est seule, elle continue à marcher lentement le long du chemin en avalant des petits cailloux, des végétaux ou des insectes. J'ai quelquefois accompagné ainsi des femelles sur une bonne distance.

Lorsqu'elle est accompagnée de poussins, elle attend au dernier moment pour s'envoler et aller se percher dans un conifère tout près, entre 2 à 3 mètres du sol, et elle reste immobile. C'est alors assez facile de prendre une photo potable. Si les poussins peuvent voler sur une courte distance, ils se perchent eux aussi à proximité en évitant tout mouvement qui pourrait les trahir. S'ils ne peuvent voler, ils se dispersent en courant sous la végétation. La femelle émet alors des notes gutturales répétées.

J'ai repéré cette femelle de Tétras du Canada simplement en entendant des notes gutturales tout près. Je me doutais bien qu'il s'agissait d'un tétras, mais je n'étais pas certain si c'était un Tétras du Canada ou un Tétras à queue fine. Je me suis approché de la source des sons et cette femelle s'est envolée pour se percher à environ 3 mètres du sol. Elle a continué à glousser, ce qui indiquait qu'elle communiquait avec des oisillons.

Et voici le trésor qui se cachait pas très loin. Un superbe oisillon d'au moins 10 jours puisqu'il pouvait se servir de ses ailes pour s'envoler et aller se percher à l'abri dans un conifère.

Si vous voulez surprendre une famille de tétras (ou de perdrix), circulez lentement dans les chemins forestiers tôt le matin ou en fin de journée à partir de la mi-juin. Ce sont les moments de la journée où les adultes amènent les jeunes plus à découvert pour se nourrir. Il est cependant tout aussi possible d'en rencontrer à toute heure de la journée si on passe beaucoup de temps sur le terrain.  

Le Tétras à queue fine

Le Tétras à queue fine (anciennement connue sous le nom de Gélinotte à queue fine) est le seul de nos tétraoninés à constituer des "arènes" (ou leks) lors de l'accouplement. Les mâles se regroupent sur des terrains dégagés, utilisés dans certains cas depuis des générations, où ils exécutent des danses destinées à gagner la faveur des femelles. Les concurrents, en nombre très variable, mais en moyenne une dizaine, occupent des sites individuels de quelques mètres de diamètre dans un endroit dégarni de végétation. Leurs gloussements et leurs caquètements s'entendent de loin, surtout à la fin d'avril ou au début de mai, mais parfois aussi à l'automne, à l'aube et au crépuscule (Edminster, 1954; Johnsgard, 1973). Cet oiseau est considéré encore aujourd'hui comme un nicheur résident rare dans le nord du Québec méridional, comme le signalait Normand David en 1980.

Je connais peu ce tétras que je n'ai rencontré qu'à seulement deux reprises. La première rencontre s'effectue le 27 juin 2011. Je suis accompagné par François Gagnon et nous sommes en transit entre deux parcelles prioritaires au nord du Réservoir Gouin. Voici les notes prises à ce moment dans mon carnet de terrain:

1 Tétras à queue fine décolle à partir du bord du chemin lorsque je circule sur un chemin forestier très large dans la parcelle 18WV07. Je le reconnais à sa queue pâle et pointue. J'avertis François qui n'a pas eu le temps de le voir et nous décidons d'essayer de retrouver l'oiseau. Nous revenons sur nos pas à bord du véhicule. Alors que François se dirige dans le boisé en bordure de route, je reste sur le bord du chemin et, moins d'une minute plus tard, je vois s'envoler 5 oiseaux. Vol groupé semblable à celui de la Perdrix grise où alternent battements d'ailes et glissades. Bruit sourd des ailes lors du décollage et cris de contact émis par les oiseaux, tel qu'enregistré sur mon Ipod (Sibley). Cette espèce est méga rare dans le secteur où nous nous trouvons.
Impossible de prendre une photo à ce moment-là, mais nous nous reprenons le 5 juillet 2012. Nous nous trouvons dans la parcelle 18UA03, située près de Matagami. Il est environ 18h30 et, avant de regagner la tente pour la nuit, nous décidons d'aller faire un tour de reconnaissance dans les chemins forestiers que j'aurai à couvrir le lendemain. Question de voir si ces chemins sont carrossables. Au détour de la route, nous apercevons un gros oiseau qui se tient sur le côté de la route. À voir son long cou, je pense et dit "perdrix", mais François aperçoit la queue et crie aussitôt "Tétras à queue fine". Là c'est l'excitation générale.

Au premier coup d'oeil, le long cou et la crête sur la tête, me font penser à la perdrix, mais François, en observant la queue pointue, fait entendre un tonitruant "Tétras à queue fine" .

Pendant que je cherche ma caméra sur le siège arrière du véhicule, François s'avance vers l'oiseau. Je lui demande de m'attendre un peu, car j'ai peur que l'oiseau s'envole avant que je n'aie eu le temps de le pixelliser. Mais non, l'oiseau ne s'envole pas et il se montre même très agressif. À un moment donné, il s'avance vers François les ailes ouvertes afin de l'effrayer.


Du moins, c'est ce que je crois. Mais ce qui suit démontre qu'il ne veut pas effrayer François, mais il veut plutôt faire s'envoler des poussins que ni François ni moi-même avons encore aperçu tellement notre attention est portée uniquement sur l'adulte qui nous fait face. Nous savons maintenant que nous avons affaire à une femelle et à sa nichée. L'excitation devient encore plus grande. À un moment donné, la femelle part en courant, le corps tendu vers l'avant, les ailes étirées et tenues à l'horizontal, un peu comme un mâle en train de faire sa parade au printemps. Elle se dirige vers nous...

  
et elle fait s'envoler 2 poussins cachés par la végétation et que nous n'avons pas encore vus.



Et elle n'arrête pas ce manège tant que les 9 poussins présents (du moins ce que je peux compter dans tout ce brouhaha) ne sont pas tous partis se cacher à l'abri dans la végétation. Une fois la nichée en sécurité, la femelle s'envole pas très loin dans un feuillu et voilà la seule photo que je peux en faire avant qu'elle ne s'éloigne encore un peu plus.



Et voilà ce que mes rencontres m'ont permis d'apprendre sur le comportement des poules des trois espèces de tétraoninés présentes au Québec. La moins agressive est, sans trop de surprise, celle du Tétras du Canada. En deuxième position, la femelle du Tétras à queue fine semble plus préoccuper à faire s'enfuir sa marmaille qu'à vouloir affronter physiquement le prédateur potentiel. Par contre, la femelle de la Gélinotte huppée est prête à mettre sa vie en péril pour défendre sa nichée.

J'aurais aimé expérimenter plus de rencontres avec le Tétras à queue fine, car une seule occasion peut ne pas refléter le comportement habituel. Si quelqu'un d'entre vous qui lisez ce billet a vécu une expérience différente avec ce tétras, j'aimerais bien en entendre parler.


4 commentaires:

Noushka a dit…

WOW!
Quel post extraordinaire et passionnant!
Je n'ai pas souvent le temps de lire le texte entier chez tous ma blogueurs, surtout quand il est long , mais ton blog est un vraiment un incontournable en la matière!
Comme j'aurais aimé être là pour ces rencontres!
Faire de belles photos comme les tiennes est bien, mais faire une étude approfondie de leurs mœurs est autre chose!
C'est ce que je me propose de faire, une fois installée pour de bon en Australie!!
Je suis passée voir tes autres posts, mais pas le temps de laisser des commentaires, nous allons être coupés d'électricité pendant plusieurs heures...
Mes amitiés et bonne continuation!

Noushka a dit…

J'aimerais te contacter par mail pour ton aide!
Pourrais-tu m'en envoyer un rapide quand tu as 2 minutes?!
Merci d'avance!
Bizzzz!

Didier 85 a dit…

Très belles photos bien documentées !
Bonne soirée et @ bientôt
Didier 85

Anonyme a dit…

Une belle trouvaille ce poussin tétras ! Il est vraiment adorable. J'ai eu deux rencontres avec le tétras du Canada et cet oiseau ne m,a pas semblé très farouche comparativement à d'autres espèces rencontrés. Et il a fier allure ! J'espère bien le croiser de nouveau.