vendredi 29 avril 2011

Ces oiseaux des rapides

Heureusement que je ne suis pas un canard de mer, car je serais très malheureux. L'eau tumultueuse et moi, ça fait deux. Aussi, lorsque j'observe des oiseaux de mer qui se font brasser de tout bord tout côté par une houle déchaînée, je me demande comment ils peuvent faire pour ne pas vomir leurs tripes. Mais je me console en pensant qu'ils doivent sûrement connaître des journées plus reposantes. Non, je ne trouve pas les canards plongeurs particulièrement chanceux. Je ne me vois pas luttant, jour après jour, contre les vagues, les courants de surface ou de fond et les vents violents. C'est certain que si vous me dîtes qu'ils sont génétiquement pourvus de toutes les adaptations physiques et physiologiques pour se sentir à l'aise dans de telles conditions, j'acquiesce tout de go avec un "je sais", mais il reste que j'éprouve une grande admiration à leur endroit. Disons, qu'il y en a qui ont une vie plus facile que d'autres.


Sans doute l'un des plus beaux canards de mer au Québec, l'Eider à tête grise ne s'observe qu'à partir du Bas St-Laurent vers l'est. Photo prise à Pointe-au-Père, Québec, le 24 avril 2011.


Mais il n'y a pas que les canards qui sont capables de telles prouesses et même que certaines espèces en redemandent. Non seulement se sentent-ils bien dans l'eau, mais en plus, ils recherchent les rivières au fort débit et bien empierrées. L'oiseau le plus spectaculaire que j'ai eu la chance d'observer est le Cincle d'Amérique / Cinclus mexicanus / American Dipper. En Amérique du Nord, il se retrouve dans les montagnes de l'ouest du continent (entre 300 et 3,000 mètres d'altitude). En Amérique centrale, on peut l'observer jusqu'au Panama. En Amérique du Sud, il est remplacé par le Cincle à tête blanche / Cinclus leucocephalus / White-capped Dipper et le très localisé Cincle à gorge rousse / Cinclus schulzi / Rufous-throated Dipper. En fait, j'ai eu la chance d'observer ces trois espèces dans leurs milieux naturels et elles ont exactement le même comportement. La première fois où j'observe le Cincle d'Amérique, c'est le 2 mars 1989 dans le Parc National Tapanti au Costa Rica. Au premier coup d'oeil, je crois avoir devant moi un espèce de merle bedonnant, tout gris et avec une queue très courte. Il se tient sur un gros rocher et il plie constamment les genoux nerveusement, ce qui donne à l'oiseau des mouvements secs de haut en bas et de bas en haut. Un peu comme le font occasionnellement le Troglodyte mignon et le Troglodyte des rochers. Et, non sans surprise, ma deuxième impression est celle d'un troglodyte sur les stéroïdes. Donc, j'ai devant moi un bien curieux oiseau. Mais lorsque je le vois s'approcher de l'eau tourbillonnante en marchant sur les rochers humides et glissants comme si de rien n'était, pour le voir disparaître sous l'eau et réapparaître quelques secondes plus tard de l'autre côté des rapides, là je suis estomaqué.


Le Cincle d'Amérique n'effectue pas de migration vers le sud en hiver, mais plutôt des migrations altitudinales. Photo prise sur internet.

Alors que, habituellement, il s'immerge complètement sous l'eau à la recherche de sa nourriture, il lui arrive souvent de plonger seulement sa tête pour inspecter les lieux et la présence d'une éventuelle proie. Photo prise sur internet.

C'est toujours très impressionnant de voir avec quelle facilité le cincle s'agrippe sur les rochers les plus glissants et en plein courant.  Photo prise sur internet.



Si vous désirez voir le cincle en pleine action, cliquez sur le lien suivant


Une décennie plus tard, le 14 août 2000, je découvre une autre espèce impressionnante. Nous sommes à Mindo, en Équateur. Alors que nous traversons un pont surplombant une rivière très agitée, notre guide arrête le véhicule et nous jetons un oeil sur les rives et les rochers. Après avoir trouvé un Cincle à tête blanche très actif dans les rapides, mon attention se porte sur une masse pâle immobilisée sur un gros rocher. La lunette d'approche me permet de confirmer un mâle Merganette des torrents / Merganetta armata / Torrent Duck. Je suis très excité, car ça fait longtemps que je la cherche. Pour espérer la trouver, il faut scruter les rivières des Andes, à partir du sud du Lac Maracaibo, au Venezuela, jusqu'à la Terre de Feu en Argentine. Pour ma part, j'ai eu la chance de l'observer en Équateur, au Pérou et en Argentine. Le fait de l'avoir rencontrée dans ces différents pays est intéressant puisque cela m'a permis de noter les différences de coloration affectant le mâle des différentes sous-espèces. La race colombiana est la plus pâle des six sous-espèces alors que turneri est la plus foncée. 
   




Illustrations de quatre des six sous-espèces de la Merganette des torrents. La colorée femelle arbore le même plumage quelque soit la sous-espèce. Source: volume I de la série Handbook of the birds of the World.







Ces anatidés plongeurs sont très farouches et nous devons très souvent nous contenter d'une observation à longue distance. Aussi est-il conseillé de scruter attentivement les rivières tumultueuses en contrebas de différents postes d'observation disséminés naturellement sur le bord des routes qui s'accrochent aux flancs des Andes. Une image qui me restera gravée à jamais est celle d'un mâle et une femelle qui se laissent porter, tels des bouchons de liège, à la surface d'une rivière absolument déchaînée en saison des pluies sur le versant est des Andes, dans la région de San Isidro en Équateur. Même s'ils sont presque côte à côte, les deux jouent au yoyo alors que seulement l'un des deux est visible en même temps dans la jumelle. C'était à donner le mal de mer.

Pour ramener le tout au Québec, nous avons quelques anatidés qui aiment l'eau agitée. Je pense d'abord au Grand HarleMergus merganser / Common Merganser que j'ai observé quelquefois remontant lentement une rivière sur l'eau et à contre courant, sans doute pour profiter de ce que l'eau en mouvement transporte comme nutriments et proies éventuelles. Lorsque l'oiseau atteignait une partie tranquille de la rivière, il retournait en vol au début de la partie agitée et il remontait à nouveau les rapides.




Une autre espèce de canard partage cet engouement pour les eaux agitées, le Arlequin plongeur / Histrionicus histrionicus / Harlequin Duck. Sa distribution mondiale se situe à partir du Lac Baikal en Sibérie vers l'est aux Îles Aléoutiennes et l'Alaska, vers le sud jusqu'au Colorado, É.U.; l'est du Canada, le Groënland et l'Arctique. Au Québec, je l'ai d'abord observé au réservoir Beaudet à Victoriaville. Un mâle s'était égaré là, le 17 avril 1989. Un peu surprenant de le rencontrer dans un lieu aussi calme, mais il faut dire qu'il n'était réellement pas dans son habitat régulier. En 1996, il avait été rapporté à Saint-Jean-sur-le-Richelieu et, comme je travaillais là-bas, j'ai pu profiter d'une occasion pour essayer de le repérer. J'ai vu passer en vol un petit canard très foncé et il s'est dirigé tête première dans la partie la plus agitée de la rivière. Je savais que j'avais affaire à lui. Ma dernière rencontre, et la plus belle, se passe le 24 avril 2011 alors que je suis au mont Albert avec Anne. Nous recevons des indications selon lesquelles il y aurait de très bonne chance d'observer ce très beau canard en nous rendant sur un site en particulier. Nous suivons à la lettre les directives et nous nous retrouvons bientôt en face de trois arlequins, deux mâles et une femelle. Voici quelques photos que j'ai pu réaliser:


Le Arlequin plongeur aime les eaux agitées où il peut trouver une profusion de proies drainées par le courant. Photo Laval Roy, le 24 avril 2011 au Gîte du Mont Albert.

Le Arlequin plongeur est sans contredit l'un de nos plus beaux canards. Alors que le mâle arbore des dessins et des couleurs intéressantes, la femelle est plus terne, allant même jusqu'à ressembler à une roche lorsqu'elle ne bouge pas et qu'elle nous cache les tâches pâles sur sa tête. Photo Laval Roy, le 24 avril 2011, au Gîte du Mont Albert, Gaspésie.


Un couple de Arlequins plongeurs sur les rives de la rivière où ils nicheront sûrement en 2011. Photo Laval Roy, le 24 avril 2011 près du Gîte du Mont Albert, Gaspésie.




Oui, j'admire ces oiseaux qui se rient des eaux tumultueuses et qui en tirent même le meilleur parti pour assurer leur survie et celle de leur progéniture. Pour Anne et moi, l'observation des Arlequins plongeurs dans leur aire de nidification a été une belle surprise et un beau cadeau de cette belle nature.




6 commentaires:

Anonyme a dit…

Récit fort intéressant ! Vous avez eu la chance de voyager beaucoup pour observer la faune aviaire. J'ai une fascination certaine moi aussi pour les oiseaux aquatiques et j'ai eu le plaisir d'observer moi aussi récemment un couple d'arlequin plongeur à Vancouver. J'aurais bien aimé que le soleil se pointe afin que la lumière fasse davantage briller leurs plumes. Impressionnant aussi de voir le cincle en pleine action dans la vidéo - merci pour le lien !

Laval Roy a dit…

Bonjour Sophie,

Je suis agréablement surpris de savoir qu'on me lit à l'autre coin du pays ;-) . Oui, j'ai fait une couple de tours de la planète bleue, mais je ne me suis jamais arrêté dans l'ouest du Canada. Je garde cet endroit pour mes "vieux jours". Ceci dit sans arrogance aucune. Je préfère faire maintenant des voyages plus exigents physiquement et garder les plus faciles pour plus tard.

C'est toujours intéressant de voir que "nos" espèces sont également observées à d'autres endroits, parfois très éloignés. Ton témoignage en est la preuve. La personne qui ne voyage pas du tout pourrait très bien être tout simplement ignorante de cette réalité. Un fait qui m'a particulièrement frappé est cette fois où j'étais avec un groupe québécois que j'avais organisé pour le Kénya/Tanzanie (en 2003). Nous étions au Seregenti, en Tanzanie. Nous étions naturellement accompagnés d'un guide local très compétent qui ne cessait de nous surprendre par ses connaissances approfondies des espèces en présence. Nous avions alors observé exactement 39 espèces de rapaces diurnes depuis le début de notre voyage. Il nous les avait identifiés avec une aisance exceptionnelle. Voilà qu'apparaît en vol un Balbuzard pêcheur. Enfin un facile qu'on se dit et nous lâchons le nom très rapidement. Voyant que notre guide est sceptique, nous lui disons que c'est une espèce observée régulièrement au Québec pour nous (du moins à cette époque). Après un second coup d'oeil sur l'oiseau toujours en vue, il acquiesce à notre identification.

Ceci confirme que chacun de nous peut être spécialiste pour certaines espèces et débutant pour d'autres. Ce qui est important, c'est la passion de l'observation des oiseaux. Si nous avons en plus la passion du voyage, alors là, on est pris dans un drôle d'engrenage. Mais quelle vie palpitante ça fait !!!

Merci encore et je te souhaite de belles trouvailles.

Anonyme a dit…

J'ai toujours adoré les voyages, mais ce n'est que depuis mon voyage de noces, où j'ai effectué un safari au Brésil, que j'ai eu la piqûre pour la faune, particulièrement les oiseaux. Pourquoi attendre d'être en voyage pour découvrir le monde ? Je suis revenue au Québec avec une soif d'en savoir plus sur mon environnement, que j'avais toujours apprécié, mais que je n'avais découvert que très partiellement. Je lis donc vos escapades à l'étranger avec beaucoup d'envie, mais je sais que mon tour viendra un jour! En attendant, une escapade à l'Île-Bizard me ravie tout autant qu'un voyage d'affaires à Toronto et à Vancouver! Maintenant, à chacune de mes sorties, je cherche l'oiseau ou la petite bête qui fera ma journée ! Amicalement.

Unknown a dit…
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